par Thorstein Veblen Mer 28 Fév - 20:34
Le fameux effet boomerang de l’absynthèse… Il en avait entendu parler, mais l’avait toujours mis sur le compte de ces légendes absurdes que les amateurs de beuveries se plaisaient à narrer à l’envie dès que l’occasion s’en présentait. Dans tous les bars minables de l’univers, si un malheureux infortuné avait l’ingénuité – ou l’imprudence – de poser même la plus innocente question à propos de cet étrange breuvage, il en était immanquablement quitte pour une série interminable de récits épiques de débauches, tous plus invraisemblables les uns que les autres.
Thorstein Veblen venait cependant de découvrir que l’effet boomerang de l’absynthèse n’était pas qu’une fanfaronnade de pochtron, après tout. Pour commencer, il avait cru le subir dans le vaisseau, quand, au début de la traversée vers Castyroan, il avait goûté à l’une des bouteilles de sa cargaison. L’état d’ivresse avancée dans lequel il s’était instantanément trouvé plongé l’avait cloué sur place dans son siège, incapable du moindre mouvement. Heureusement qu’il avait programmé les coordonnées de la planète et qu’ensuite le droïde s’était occupé de tout pendant le reste du voyage.
En débarquant, il commençait tout juste à se sentir mieux et avait réussi à passer les formalités de la douane avec les idées relativement claires. Il était même assez fier de la manière dont il était parvenu à endormir la vigilance de l’employé des douanes, surtout lorsqu’il lui avait annoncé tout de go qu’il comptait écouler 197 tonnes d’absynthèse sur Castyroan. Le douanier en question allait sans doute obtenir une promotion pour l’esprit d’initiative dont il avait su faire preuve ! Ah, qu’il était doux de vivre au temps du libre-échange interstellaire…
Il avait quitté le spatioport soulagé d’avoir enfin retrouvé ses esprits. Mais le sentiment avait été de courte durée. Car c’est à ce moment précis que le second effet de l’absynthèse, l’effet boomerang, avait réellement commencé. Une douleur brève et intense dans le bas du cou, suivie par une perte totale de conscience. Des heures, des jours entiers peut-être, de divagations hallucinées dans les bas-quartiers de Castyroan, avec pour seul souvenir des images vives mais fugaces, des bruits fracassants et désarticulés, des sensations troubles, malsaines…
Ce qu’il voulait maintenant, c’était de la compagnie : féminine, de préférence, et humanoïde, tant qu’à faire. Son esprit fut brièvement traversé par des images de tentacules cauchemardesques lors d’une rencontre d’un certain type avec un calamar géant anthropophile… Il chassa au plus vite ces pensées abominables – ce qu’il avait de mieux à faire s’il espérait conserver sa santé mentale.
Mais où trouver ce qu’il recherchait ? Étant donné sa situation, il fallait qu’il se montre prudent, car les prostituées étaient souvent les premières personnes que les chasseurs de primes allaient voir pour obtenir des informations sur les nouveaux venus dans une ville. Mieux valait donc éviter de s’offrir les services d’une professionnelle. Pourquoi ne pas tout simplement tenter de séduire l’une des clientes des nombreuses tavernes des bas-fonds ? Après tout, ce bidonville ne devait pas manquer de femelles esseulées en manque d’affection !